Jun 3 • FORMAT'KINÉ

Radiculopathie cervicale : que vaut réellement l’examen neurologique au lit du patient ?

La radiculopathie cervicale (CR) est une affection fréquente mais encore mal définie. Elle représente un défi diagnostique majeur : douleurs irradiantes dans le bras, paresthésies, troubles moteurs, déficits sensitifs... mais une grande confusion règne autour des critères précis qui permettent d’en confirmer le diagnostic. Alors que l’International Association for the Study of Pain (IASP) recommande de baser ce diagnostic sur des signes de perte de fonction neurologique (et non simplement la douleur), la réalité clinique montre que ces critères sont rarement appliqués de manière standardisée.

L’examen neurologique au lit du patient, ou Bedside Neurological Examination (BNE), est censé jouer un rôle central dans l’identification de ces pertes de fonction : testing sensitif, testing moteur, et recherche de réflexes diminués. Pourtant, aucune revue systématique n’avait encore évalué sa fiabilité diagnostique dans le cadre de la radiculopathie cervicale. L’étude menée par Yousif et al. vient précisément combler cette lacune.


99 % :
Spécificité combinée de l’examen neurologique (réflexes + force + sensibilité) dans certaines études. Cela signifie que si les signes neurologiques sont présents, le diagnostic de radiculopathie est très probable.
7 % :
Sensibilité globale rapportée pour le même examen combiné dans certains cas. Ce chiffre indique qu’un examen normal ne permet pas d’exclure la pathologie.
94 % :
Spécificité du testing de force musculaire sur le triceps brachial, selon une des études incluses. Cela en fait un test particulièrement utile dans l’identification d’une atteinte C7.

Objectifs et méthode de la revue

Cette revue cartographique (scoping review) avait pour ambition de dresser un panorama complet de la littérature existante sur la précision diagnostique de l’examen neurologique dans le cadre des CR, en évaluant chaque composante (réflexes, force musculaire, sensibilité) et en la comparant à des standards de référence (IRM ou électromyogrammes).

Les auteurs ont analysé 6 études transversales portant sur un total de 558 participants. Les tests évalués ont été comparés soit à l’électromyographie couplée aux études de conduction nerveuse (EMG/NCS), soit à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), deux références imparfaites mais usuelles.

 Résultats : haute spécificité, faible sensibilité

Les résultats confirment un constat déjà suggéré mais rarement quantifié : les éléments de l’examen neurologique présentent une spécificité élevée mais une sensibilité faible.
  • Les réflexes ostéo-tendineux (biceps, triceps, brachioradial) sont les plus spécifiques, avec des valeurs allant jusqu’à 99 % de spécificité, mais une sensibilité souvent inférieure à 25 %. Autrement dit, si le réflexe est diminué, le diagnostic de CR devient plus probable ; mais un réflexe normal ne permet pas d’exclure la pathologie.
  • Le testing sensitif (notamment au cotton ball ou au picotement) affiche des sensibilités faibles (entre 25 % et 52 % selon les études) et une spécificité très variable, en fonction des dermatomes testés. Le dermatome C5 est celui qui semble le plus discriminant.
  • Le testing musculaire manuel présente des performances intermédiaires. Sa sensibilité varie de 30 à 81 %, et sa spécificité entre 61 % et 94 %, avec des meilleurs résultats sur le biceps et le triceps. Ce type de testing semble donc utile dans l’orientation du niveau radiculaire atteint.
Lorsque les trois composantes sont combinées, la spécificité globale de l’examen grimpe à 99 %, mais la sensibilité chute parfois à 7 %. Cela signifie que si le BNE est positif, il renforce fortement la probabilité de radiculopathie ; mais s’il est négatif, il n’est pas suffisant pour exclure le diagnostic.

Hétérogénéité méthodologique et lacunes cliniques

L’étude souligne une hétérogénéité inquiétante : procédures de test floues, muscles testés différents, absence fréquente de testing des fibres fines (thermique, douleur), description lacunaire des dermatomes… Pire encore, aucune des études ne prenait en compte les signes d’atrophie musculaire, alors qu’ils sont fondamentaux dans un tableau de perte de fonction neurologique.

Les références utilisées, notamment l’IRM, souffrent elles aussi de limites importantes : l’IRM ne détecte que les compressions structurales visibles, pas les altérations fonctionnelles du nerf, et son résultat peut varier selon la position du patient lors de l’examen (debout vs allongé).

Quant à l’EMG, il explore uniquement les fibres larges (motrices ou sensitives de type Aβ), et ne permet pas d’évaluer les fibres fines souvent altérées précocement.

 Ce que ça change pour le clinicien

Cette revue ne condamne pas l’examen neurologique – au contraire, elle rappelle qu’il doit rester la pierre angulaire du diagnostic de radiculopathie. Mais elle invite à l’utiliser avec discernement :
Un test positif renforce fortement la probabilité de radiculopathie (surtout pour les réflexes et la force motrice).

Un test négatif ne permet pas de conclure, surtout en phase précoce.
Il est nécessaire de structurer et standardiser l’examen pour en augmenter la fiabilité : identifier les muscles clés, les dermatomes prioritaires, intégrer le testing des petites fibres.​

Enfin, le manque d’un standard de référence universel est un frein majeur à l’évolution de la recherche clinique sur ce sujet. L’étude appelle à définir une procédure consensuelle du BNE, à l’image des classifications pour les douleurs neuropathiques.

Ce que cette étude nous enseigne

Confirmation >
exclusion

L’examen neurologique est plus fiable pour confirmer une radiculopathie que pour l’exclure.
Sa spécificité élevée (jusqu’à 99 %) en fait un outil précieux lorsque les signes sont présents (réflexes diminués, faiblesse motrice, hypoesthésie), mais sa sensibilité trop faible (<30 % dans certains cas) ne permet pas d’écarter le diagnostic si l’examen est normal.

Tous les tests ne se valent pas

Réflexes, tests de force, et sensibilités cutanées n’ont pas les mêmes performances.
Les réflexes ostéo-tendineux sont très spécifiques, la force musculaire a une valeur diagnostique intermédiaire, et le testing sensitif est le moins fiable. Savoir lesquels prioriser peut améliorer la pertinence de l’examen.

L’absence de standard nuit à la clinique

Aucune procédure unifiée d’examen neurologique n’existe pour la radiculopathie cervicale.
Entre variabilité des muscles testés, imprécision des dermatomes, et oubli fréquent des fibres fines ou de l’atrophie, l’évaluation manque de rigueur. Cette hétérogénéité nuit à sa fiabilité et à sa reproductibilité en pratique.


Vers une approche plus structurée et nuancée

L’étude appelle à un usage raisonné, structuré, et pédagogique du BNE.
Plutôt que d’abandonner un outil imparfait, les auteurs encouragent les cliniciens à améliorer leur pratique : tester systématiquement les bons muscles, noter les asymétries, croiser les signes, et compléter avec imagerie ou EMG en cas de doute.
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CONCLUSION

L’examen neurologique classique est un outil précieux mais perfectible dans le diagnostic de radiculopathie cervicale. Sa spécificité élevée le rend utile pour confirmer une suspicion clinique, mais sa faible sensibilité oblige à l’associer à d’autres éléments cliniques et paracliniques. Les cliniciens sont invités à ne pas se contenter d’un examen sommaire, mais à approfondir, structurer et interpréter avec prudence les signes au lit du patient.

Cette étude rappelle avec force que la neurologie périphérique n’est pas un automatisme, mais une science clinique exigeante — qui mérite rigueur, méthode, et formation continue.

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Recommandations pour la pratique clinique

Tester systématiquement les trois composantes

Force, sensibilité, réflexes : ne pas se limiter à un seul test.
L’examen neurologique gagne en valeur lorsqu’il est combiné. Même si chaque composante prise isolément est imparfaite, leur association améliore la spécificité du diagnostic. En pratique : toujours intégrer ces trois piliers pour ne pas passer à côté d’un déficit.

Interpréter avec nuance, pas en absolu

Un examen normal ne signifie pas absence de radiculopathie.
Avec une sensibilité aussi basse, il est essentiel d’interpréter un BNE dans le contexte clinique global : antécédents, douleur radiculaire, signes d’alerte. Un patient peut très bien avoir une radiculopathie débutante sans perte neurologique manifeste.

Standardiser sa méthode pour gagner en fiabilité

Utiliser une procédure clinique reproductible.
Toujours tester les mêmes muscles clés (biceps pour C5/C6, triceps pour C7...), les mêmes dermatomes, et noter avec précision les variations. Cette rigueur permet un meilleur suivi, une meilleure communication interprofessionnelle, et une meilleure traçabilité.

Croiser avec les examens complémentaires sans les survaloriser

Ni IRM ni EMG ne sont des gold standards absolus.
L’imagerie montre des anomalies parfois asymptomatiques. L’EMG ne capte pas les fibres fines. La recommandation : utiliser les examens complémentaires pour confirmer ou affiner un faisceau d’indices cliniques, mais jamais comme seul élément de décision.
Référence de la Recherche
Yousif MS, Occhipinti G, Bianchini F, Feller D, Schmid AB, Mourad F. (2025). Neurological examination for cervical radiculopathy: a scoping review. BMC Musculoskeletal Disorders, 26:334. https://doi.org/10.1186/s12891-025-08560-9